Entre une installation à la Cave Marignac au Grand-Lancy, de multiples travaux d’organisation et le concert du soir, l’infatigable Noé Tavelli m’attend en un lieu du quartier des Grottes, aussi bondé qu’accueillant. Sourire aux lèvres, heureux de se reposer quelques instants autour d’un verre, il parle à bâton rompu.
À la genèse lointaine de son projet Double-Drums Quartet, une invitation de son ancien professeur Marcel Papaux à écouter le batteur Eric McPherson. « Quand je recevais un tel conseil de Marcel, il n’y avait pas à tergiverser, je faisais scrupuleusement mes devoirs. » Il étudie tous les enregistrements qu’il déniche, les étudie sans en retirer toute la richesse, et les choses en restent là. Quelques années plus tard, à New-York où il s’installe pour trois ans, et quelque peu déçu de leçons par trop impersonnelles de divers enseignants, il prend contact avec Eric. S’instaure immédiatement une riche et fructueuse relation, qui perdure d’ailleurs à chacun de ses séjours dans la Grande Pomme.
De retour en Suisse, porté par une envie d’orchestre trans-générationnel, Noé rêve de jouer avec un musicien aussi inspirant qu’Eric McPherson. Ayant écarté l’a-priori de la difficulté d’une formation à deux batteurs, il l’invite dans son projet, ainsi que le saxophoniste Ohad Talmor, mentor en composition, complice de longue date, et le contrebassiste Fabien Lannone. Tous acceptent avec enthousiasme. « Nous avons l’image de musiciens américains inaccessibles écumant les festivals européens, mais en vivant là-bas, on se rend compte que tout le monde – hormis quelques stars - vit à peu près la même galère. »
Recherche de fonds, de dates convenant à tout le monde, écriture du répertoire, il décroche une résidence d’une semaine à l’Auberge des Vergers à Meyrin. Enregistrement. Captation vidéo. Sélection. Post-production. Il se retrouve avec un enregistrement qui sortira en 2026, et un orchestre prêt à tourner. « J’ai l’habitude de l’exercice intercontinental depuis mon groupe The Argonauts. Je sais que je n’ai qu’une semaine, c’est quitte ou double, je remplis la semaine ou je laisse tomber. » On devine que le poids de la gestion d’un tel projet n’est pas négligeable. Dans ce marathon qu’il faut courir au sein d’une scène artistique saturée, Noé nous livre ses recettes : persévérance, régularité - faut-il dire qu’il est du signe du bélier ? - présentation annuel de nouveaux projets, de préférence aux lieux qui le connaissent, et surtout pas d’auto-flagellation sur les résultats. « Ce que je retire de ces huit ans d’expérience c’est qu’il faut d’abord mettre la musique au centre, sans faire de concessions, chercher ensuite un moyen de la présenter de manière convaincante, même si je me sens parfois en décalage par rapport aux musiques qui ont le vent en poupe.»
Qu’en est-il alors de la composition pour une formation si particulière? « J’ai pensé aux batteries comme des orchestres complets, tel que le concevait Max Roach, et à la manière des tambours batás de la Santería cubaine » Les batteries deviennent chorales, timbrales. Le côté harmonique est confié à des bandes-sons construites par Fabien, ainsi qu’à l’électronique utilisée sur scène par Ohad. Malgré des structures fixes, l’orchestre reste ouvert à l’instant. Jaillissement possible de thèmes de la tradition.
Et la pratique instrumentale dans tout ça ? « J’ai beaucoup de plaisir dans la routine de l’étude. Je suis parti d’une pratique sans aucun cadre à une hyper-organisation, avec des objectifs à la semaine, au mois, à l’année, à cinq ans, notant tout dans un carnet. Cependant je me méfie de moi dans cette organisation extrême, je crains de tuer ma spontanéité. Eric est l’exemple opposé, il travaille la technique dans sa cuisine sur des pads, mais lorsqu’il se met à la batterie il est totalement ouvert à tout ce qui se passe. »
Nous parlons de son retour en Suisse. « Ce qui me manque de New-York ? La musique partout et tout le temps, la culture de la musique improvisée américaine qui m’inspire tellement. Mais la Suisse me manquait aussi. Il y a ici des tendances artistiques marquées et on pourrait avoir envie de s’aligner avec ce qui parle aux programmateurs. La scène locale est très belle, avec beaucoup de bons musiciens et projets. Il manque peut-être des échanges entre générations. J’aimerai trouver des lieux pour des concerts éphémères avec des musiciens de tout âge. On est trop vite isolé dans son coin.»
Fin de l’entracte. Il est temps de se mettre en route pour récupérer les musiciens qui joueront ce soir à la Cave Marignac avant le voyage pour Marseille et le Portugal.
Noé Tavelli Double-Drums Quartet : Ohad Talmor, saxophone, synthétiseurs - Fabien Iannone, contrebasse, synthétiseur - Eric McPherson, batterie - Noé Tavelli, batterie, composition
Yves Massy – décembre 2024
Lire l'article dans le journal VIVA LA MUSICA de février 2025.