Il se dit, sur la toile et dans un livre de ma bibliothèque, que les Grecs, du temps de Socrate, se plaisait à afficher à l’entrée des gymnases, à l’intention des jeunes gens qui y venaient s’y exercer, un “Connais-toi toi-même” des plus sages. Dès lors, posons-nous la question: que connait l’AMR d’elle-même, ou qu’en connait-on en venant y pratiquer ou écouter un concert? N’aurions-nous pas plaisir et intérêt à apprendre ce qu’un fin observateur y a découvert en quatre ans d’analyse patiente? Ne pourrait-il pas nous raconter une AMR insoupçonnée?


Cet article est paru dans le journal Viva la Musica de septembre 2025


Le lien que Rémi Borgeaud entretient avec la musique ne date pas d’hier. Réalisateur né à Genève, titulaire d’un bachelor en musicologie, espagnol et histoire à l’Université de Genève, diplômé en musique classique et jazz, il décroche un master en histoire dans la même ville. Après trois ans passés à Londres au sein de la London Film School, le film “Un riff para Lazaro”, tourné à La Havane dans l’univers des musiciens cubains, couronne un second master, en cinéma celui-là. S’ensuivront plusieurs courts-métrages, parmi lesquels “Les yeux grands ouverts”, “American Colony: Une utopie à Jérusalem” ( American Colony est un long métrage) ou “La visite”, pour ne citer que les derniers sur une liste conséquente1.


Ce n’est pas moins de quatre années de travail qui ont été nécessaires à la réalisation de ce film.



Autant dire que Rémi Borgeaud, de part ses liens étroits avec la musique et son métier de cinéaste, était un candidat idéal pour réaliser une plongée en apnée dans l’intrigante, protéiforme et atypique association qu’est l’AMR. Il n’a pour cela ménagé ni son énergie ni son temps, et cette formule banale dit peu de son engagement. Assitant pendant une année aux séances hebdomadaires du comité de l’association, bloc-notes en main, épluchant les quatre-cent-cinquante numéros du journal de l’association, dont vous avez un exemplaire sous les yeux, ratissant moultes archives filmées, dont celles de la RTS, multipliant les témoignages et les entretiens de membres historiques ou d’acteurs actuels, ce n’est pas moins de quatre années de travail que lui a demandées la réalisation de ce film, dont il reste à ce jour le mixage et l’étalonnage à finaliser.


Si certains films s’écrivent et se construisent entièrement au montage, celui-ci l’a été par une heureuse validation des hypothèses de départ.



En entreprenant ce projet, Rémi Borgeaud avait plusieurs hypothèses en tête: celle de décrire (questionner) le présent et l’actualité de l’association tout d’abord, celle de l’inscrire dans son histoire et son passé, celle de faire dialoguer sa position sur la scène européenne, qui est, rappelons-le, une exception indéniable, et son cheminement dans l’histoire locale genevoise. Ces intuitions se révélèrent pertinentes, confirmées à posteriori par l’avancement du projet, adéquates et cohérentes avec le matériel de tournage qui s’amassait - plus de cinquante heures de rushes. Si certains films s’écrivent et se construisent entièrement au montage, celui-ci l’a été par une heureuse validation des hypothèses de départ. Étonnement, alors que j’imaginais, sans avoir vu le film, une voix “off” étayant la narration des images, aucun commentaire n’est utilisé dans le récit, qui repose en parfait équilibre sur la cohérence du montage, l’intimité des entretiens et l’émotion des instants musicaux.


Sous les yeux du réalisateur se révélèrent bien vite, au sein du collectif, une grande sensibilité à l’altérité, un soucis d’égalité, accompagnés de toutes les tensions et les remises en question que ces qualités de justice demandent à cette fourmilière culturelle. Les débats du comité, la polémique jam-session à mixité choisie, le processus de création de la commission ComEga,celle des autres commissions comme celle de la programmation, (dans le montage final, la commission de programmation n’est plus là…) sont des illustrations du fonctionnement horizontal et participatif en œuvre. Comme pour toute société humaine embrassant les complexes enjeux sociaux actuels, les débats qui en résultent ne peuvent qu’être nombreux et vifs. Ces joutes n’en demeurent pas moins remarquablement ouvertes, au point de vue du cinéaste. Preuve en est qu’il n’a pas hésité, après cette immersion de plusieurs années, à s’inscrire au sein du comité de l’association.


Un parallèle se dessine entre la production artistique, les multiples objets musicaux créés au sein de l’association, et le fonctionnement social du groupe



Le contenant diffusant dans le contenu et vice-versa, le vin imprégnant le tonneau comme le chêne du tonneau le vin, Rémi Borgeaud voit un parallèle se dessiner entre la production artistique, les multiples objets musicaux créés inlassablement au sein de l’association, et le fonctionnement social du groupe dans son mode d’organisation: collaborations, créations collectives, respect des différentes contributions, circulation libre des idées et des cultures, allers-retours entre les protagonistes, achoppements, tolérance, bienveillance.


“AMR Jazz Power”, car tel est le titre du film, est une œuvre collective comme l’est l’objet même du film. Le réalisateur insiste à plusieurs reprises au cour de notre entretien sur l’implication et les contributions de l’équipe qui l’entoure: chef-opérateur, preneur de son, monteur, ou ingénieur du son responsable du mixage. Le cinéaste ne conçoit pas qu’il en soit autrement, chacun apportant naturellement son point de vue, sa contradiction, son expérience. Malgré son étalement dans le temps, l’enthousiasme pour ce projet fût largement partagé au sein de l’équipe. Rémi me confie que le monteur, qui disposait de peu de temps de travail en raison des modestes moyens de production, a visionné sur son temps libre, l’intégralité des rushes tournés, malgré une pré-sélection déjà faite.


Ce modeste article ne dévoile que très peu de l’objet à voir, mais il espère contribuer à attiser votre curiosité. Ainsi donc, l’AMR vous invite le 24 septembre 2025 à la projection en avant-première du film “AMR Jazz Power”, ainsi qu’au concert qui le précédera, “We Don’t Care About”. N’hésitez pas à inscrire ce rendez-vous dans vos agendas, et, après la projection, à prolonger et enrichir de quelques beaux ruisseaux ce fleuve énorme que composent les innombrables et interminables discussions entamées il y a plus de cinquante ans autour de l’ovni AMR.


Swissfilms. 2025. “Rémi Borgeaud.” swissfilms. 2025. https://www.swissfilms.ch/fr/person/remi-borgeaud/62e0c91e523c4020b3f4bf38e3aa36c3.